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tome 11

Quelques
extraits...

Stan, Séraphin et Benoît tentaient de faire entrer les bagages des fées dans les deux camionnettes qu'ils avaient louées. 

- Attention aux machines, grommela Imraëgg dans le dos de Benoît, ce ne sont pas des sacs de pommes de terre!

- Parce que vous connaissez les patates? s'étonna Benoît. Ne me dites pas que vous avez utilisé vos écrans pour vous balader virtuellement dans les allées d'un supermarché!

Le garçon essayait de rentrer de force dans un minuscule coin vide de la camionnette un appareil dont il ignorait l'utilité.

- Tu vois bien que ça ne rentre pas! rouspéta le vieil elfe.

- Bon, je sais que ça vous stresse d'être dans le monde-du-dehors, dit Benoît, mais ce n'est pas une raison pour râler à tout bout de champ. Et puis vous n'aviez qu'à emporter moins de foutoir.

- Du foutoir! s'étrangla Imraëgg. Des machines qui représentent le summum de la technologie elfique!

Ileana s'avança pour tenter de faire baisser la pression.

- Benoît, fais attention au matériel d'Imraëgg, il est précieux. Et il faut aussi laisser un peu de place à Galou et à Pégara…

Imraëgg eut son regard d'orage.

- Vous voulez que vos bêtes piétinent mes appareils?

Ileana sourit et posa une main apaisante sur le bras du vieil elfe.

- Vous avez raison, on mettra les animaux dans l'autre camionnette. Stan, il reste de la place dans ton véhicule?

- On va en faire, de la place, soupira le jeune homme qui considérait d'un œil perplexe le tas de choses encore à emporter et le volume dérisoire de la camionnette.

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Ileana s'adressa au garloup d'une voix douce.

- Galou, tu resteras bien sage quand les humains ouvriront la porte, d'accord? Tu n'aboieras pas et tu ne leur feras aucun mal!

- Le problème est que je n'y connais rien aux races de chiens, dit elle à Sacha, je risque de le transformer en quelque chose qui n'existe pas ici. 

Sacha fit la grimace.

- De toute façon, un chien aussi grand, ça n'existe pas ici. Faites comme vous pouvez, et dites-leur simplement que c'est un croisement, ça passera.

- Un croisement? 

- Oui, un mélange de races. Parfois ça donne des trucs bizarres, les gendarmes ne se poseront pas de question. Et tant que vous y êtes, peignez le garloup en beige plutôt qu'en noir, il paraîtra moins impressionnant.

Suivant les conseils de son beau-père, Ileana passa la main sur le pelage du garloup qui devint d'un beige uniforme. Elle fit disparaître sa crinière, rapetissa ses crocs et ses oreilles et changea la couleur de ses yeux qui passèrent du rouge au bleu ciel.

- Vous croyez que ça ira comme ça? 

- Oui, il est déjà beaucoup plus beau qu'avant, sourit Sacha.

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Soudain un vieux monsieur se dirigea vers la fée.

- Excusez-moi, madame, c'est bien le train de 11h25, sur ce quai?

La fée lui sourit timidement.

- Je pas parler français, je hollandaise.

Le visage de l'homme s'éclaira.

- Oh, ik ben ook Nederlander. Waar kom je vandaan? ("Oh, moi aussi je suis hollandais. Vous venez d'où?")

La fée se tourna vers Benoît. Pourquoi l'homme continuait-il à lui parler? La phrase magique n'était-elle pas censée le faire abandonner?

Le garçon avait tout de suite capté que son plan imparable n'avait pas marché. Ils avaient une chance sur plusieurs milliers de tomber sur un vrai hollandais, et ça n'avait pas loupé! Le garçon chercha fébrilement quoi répondre au bonhomme qui fixait la fée en se demandant visiblement pourquoi elle ne disait plus rien.

- Euh, en fait elle n'est pas hollandaise, dit le jumeau au monsieur. C'est une amie de ma mère, elle est lituanienne, enfin je crois. Elle a dû apprendre sa phrase dans un livre pour les touristes et ne pas bien la retenir, en plus…

- Ah, je vois! 

Le vieux monsieur éclata de rire.

- Mais c'est bien le train de 11h25, ajouta Benoît, en espérant que le gars ne sache pas parler lithuanien (une chance sur un million, mais savait-on jamais, avec sa veine légendaire…).

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- Ça ira, Imraëgg? Il va falloir marcher un peu… dit Benoît, plein de sollicitude.

L'elfe grommela, toujours d'une humeur de dogue. Rien n'avait réussi à le dérider depuis le départ, ni les plaisanteries du jumeau, ni les sourires des fées, ni même le gâteau que Madeline avait emballé dans le sac à dos de Benoît et que le garçon avait tendu à l'elfe pendant le voyage. Imraëgg avait gardé un air sinistre pendant tout le trajet et n'avait pas profité du paysage.

- Je n'ai que quarante mille ans, je ne suis pas un vieillard!

- Bon, dit le garçon, un peu décontenancé par l'attitude de son vieil ami, allons-y!

Et le groupe s'engagea sur le chemin à travers champs et bosquets. Les fées étaient visiblement plus à l'aise ici qu'en ville, elles retrouvaient leur nature insouciante et gaie en découvrant un aspect plus riant du monde humain. Tout en marchant, elles discutaient en petits groupes, s'extasiaient sur les primevères et les pâquerettes en fleurs ainsi que sur la rivière qu'on voyait miroiter entre les arbres. Les enfants couraient partout et faisaient trois fois plus de chemin que les adultes, et Benoît les surveillait, un peu stressé. Mais les jeunes avaient bien compris qu'il ne fallait surtout pas se servir de ses ailes et se comportaient comme n'importe quel groupe d'enfants humains joyeux et turbulents.

Enfin la magnifique façade du château fut en vue, et Benoît en éprouva un grand soulagement. Tout s'était bien passé, il avait réussi! Le dernier groupe était arrivé au domaine!

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Premier endormi, mais dernier réveillé, Benoît se leva en hâte. Il allait encore passer pour un bonnet de nuit, déjà qu'à Edelynn il n'arrivait jamais à se lever avant midi… Il passa les mains sur ses vêtements, comme si par ce geste il allait pouvoir les défroisser magiquement, et sortit dans le couloir. 

Dehors, l'ambiance n'était plus du tout la même que la veille au soir. Isdragarn, Amékel et Iowena discutaient avec Ileana et ses amis, l'air soucieux.

- Quelque chose ne va pas? demanda Benoît.

- Il semblerait que trois fées manquent à l'appel, dit Isdragarn. 

- Des fées de mon groupe? se troubla le garçon qui se sentait coupable d'avoir oublié de compter ses ouailles.

- Non, elles n'étaient pas au départ aux Pierres Blanches. C'est incompréhensible, elles ont littéralement été oubliées. 

- On sait qui c'est?

- Oui, un couple d'Illiriane, Anis et Arman, et Aslie, la sœur d'Arman.

- Et comment ça se fait? 

- Chacun pensait qu'elles étaient avec les autres.

- Il faut aller les chercher! dit Ileana. Si elles sont encore là-bas quand Edelynn disparaîtra, qui sait ce qui pourrait leur arriver!

- Elles disparaîtraient aussi? s'alarma Benoît.

- Toi, tu n'as pas écouté ce que nous a expliqué Imraëgg! le tança Claire en agitant sous le nez de son frère un index sévère. Ce ne sont que les choses inertes qui vont disparaître, ainsi que les végétaux qui sont ancrés dans le sol.

- Alors tout va bien.

- Non, tu imagines comment elles vont se sentir perdues, toutes seules dans le monde-du-dehors? dit Alixen. Elles vont être terrorisées et ne pas savoir où aller!

- On y va, dit Ileana. En nous téléportant, on peut être à Edelynn dans quelques minutes et les chercher.

- Et la fin d'Edelynn, elle est prévue pour quand? demanda Benoît.

Claire souffla comme un taureau sur le point de charger.

- Mais tu n'as vraiment rien écouté! Pourtant tu étais là quand on en a parlé. Mais tu devais avoir tes deux neurones débranchés!

- Imraëgg et Garameen ne voulaient pas attendre que les machines se cassent les unes après les autres et que les humains puissent découvrir Edelynn, expliqua Stan. Alors, plutôt que de laisser la situation pourrir, ils ont décidé d'arrêter les machines aujourd'hui, au moment où le vaisseau décollera.

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- Ne restez pas ici! clama une voix dans leur tête. Nous allons partir d'ici peu de temps! Écartez-vous, si vous tenez à la vie!

Ileana et Stan venaient d'entrer dans la vallée qui avait servi si longtemps de cachette au vaisseau. Mais contrairement à la dernière fois, plus aucune activité autour du vaisseau, pas de caisses ou de matériaux divers jonchant le sol. La nef spatiale était comme abandonnée sur un pas de tir désert.

Mais les deux amoureux savaient qu'il n'en était rien. Tout le monde était à bord, elfes, trolls, nains et monstres divers, et le décollage était imminent.

Ileana saisit Stan par la main. Elle savait ce qu'il ressentait, il aurait tant aimé assister au départ!

- Mon cœur, dès que le vaisseau sera assez haut dans le ciel, Edelynn disparaîtra, tu le sais. Il nous reste peut-être une heure ou à peine plus. Si nous voulons avoir une chance de retrouver les fées manquantes, il faut qu'on parte tout de suite!

Stan se tourna vers elle, quittant à regret le splendide vaisseau des yeux.

[…]Dans un grondement infernal, la nef s'éleva au-dessus de la forêt, secouant les arbres comme des fétus de paille. Elle monta lentement vers le ciel dans une colonne de fumée et de poussière, et les cinq amis attendaient crispés le moment si redouté de la disparition d'Edelynn.

Soudain, Bonheurdu disparut, remplacé par des arbres.

Ileana cria, cognée et projetée en arrière par un arbre qui venait de "pousser" à l'endroit où elle s'était trouvée quelques seconds plus tôt. Les quatre autres eurent plus de chance, ils s'étaient retrouvés sur un chemin.

Stan se précipita.

- Ça va? Tu t'es fait mal?

- Non, je vais juste avoir un gros bleu, répondit la jeune fée en époussetant ses vêtements.

Le jeune homme regarda tout autour d'eux.

- Je ne suis pas un spécialiste, dit-il, mais il me semble que ce n'est pas la forêt d'Edelynn.

- Non, en effet, répondit Aodren en observant les arbres gris. Je ne veux pas critiquer votre forêt, mais on ne peut pas les confondre.

- Ça y est, dit Benoît un peu sonné, Edelynn n'existe plus, on est de retour dans le monde des humains.

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Imraëgg poussa la porte de sa chambre, parcourut avec peine les derniers mètres et s’assit lourdement sur son lit.

Benoît observa les lieux avec curiosité et ne put s’empêcher de sourire. Quel contraste entre le lit à baldaquin aux rideaux damassés, la paire de fauteuils Louis Machin et l’amoncellement d’appareils elfiques contre les panneaux peints de scènes champêtres !

- Quelque chose te fait rire ? grogna Imraëgg.

- C’est votre f…, euh, votre tas de « summum technologique ». Il n’y avait pas d’autre endroit où ranger vos bidules ?

- Je préfère garder un œil dessus. Pas que de jeunes hurluberlus abîment mes bidules. 

- Et qu’est-ce que vous allez en faire ? Parce sans vouloir vous vexer, comme déco c’est pas top.

Le visage d’Imraëgg se fit grave.

- Il faut que je les remonte, que j’en répare certains et que je les fasse marcher. Mais pour ça, j’aurais besoin d’un assistant, je ne peux pas faire ça tout seul.

Benoît secoua les bras, paniqué.

- Hé, faut pas compter sur moi ! Je n’y connais rien en électronique !

L’elfe eut un petit rire rauque.

- Je ne pensais pas à toi, à vrai dire.

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- Si Edelynn a disparu, c’est que les machines sont fichues. Même si des humains en trouvaient une, que pourraient-ils en faire ? dit Stan.

Imraëgg secoua la tête.

- Déjà, ça ferait désordre ! Ça révélerait aux humains l’existence d’une autre race intelligente. Et, pour en revenir aux machines, elles ne sont pas toutes cassées, c’est bien le problème. Il n’y en avait plus suffisamment d’opérationnelles pour maintenir Edelynn, mais je suppose qu’il serait faisable de les réparer et de recommencer. Certaines sont encore en assez bon état, je pense.

Stan fixa Imraëgg, sidéré. Recréer Edelynn?? C’était ça, le rêve fou du vieil elfe ?

- Mais… pourquoi cela n’a-t-il pas été tenté avant que les elfes ne repartent pour Eden ? C’était quand même la solution la plus simple !

Le garçon ne comprenait plus rien. C’était aussi incompréhensible que de détruire une maison parce que l’électricité ne marchait plus !

Imraëgg soupira et ses épaules s’affaissèrent.

- Plus personne ne savait les réparer, dit-il piteusement. Ganéag a transmis ses connaissances à son fils et à personne d’autre. Plusieurs ingénieurs elfes savaient se servir des machines mais aucun n’en connaissait le principe.

Stan écarta les mains.

- Mais comment est-ce possible ? C’est… 

Le garçon ne trouvait pas les mots tant il était désappointé.

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Guillemin ouvrit la porte à l'arrière du van et s'écarta prudemment pour laisser les fées s'occuper des licornes, qui lui inspiraient un peu de crainte. Il était déjà monté sur de braves chevaux de promenade en des temps anciens, mais ces bêtes-là étaient de la dynamite sur pattes!

Après quelques rapides embrassades avec Gahadiel, Gadriel et Anandala, les reines jetèrent des regards furtifs vers le portail.

- On va aller vers l'arrière pour être tranquilles. Le château et tous les bâtiments qui l'entourent nous font un paravent formidable.

En effet, à l'arrière un panorama extraordinaire attendait Iowena. Bien plus que ses propres sœurs l'avaient fait à Fouchy -sans doute en l'absence d'Amékel-, les fées de Tanariane et du marais avaient osé recréer ici les paysages de leur coin d'Edelynn. Une immense prairie de graminées bleutées parsemée de fleurs roses typiques du nord d'Edelynn s'étendait à perte de vue, jusqu'à la forêt qu'on apercevait au loin, avec ses frondaisons bleu sombre. Quelques chemins de sable très clair zigzaguaient dans la prairie, ponctués par des arbres mauves aux silhouettes caractéristiques.

Très émue, Iowena se tourna vers ses cousines.

- Ce que vous avez accompli est magnifique!

Itarga rayonnait.

- Oui, nous sommes assez contentes du résultat. On ne s'attendait pas à se sentir aussi bien ici.

- Pas de problème avec les humains? Est-ce qu'ils vous ont repérées? 

- Non, on n'a jamais vu personne, expliqua Itarga. Les murs extérieurs sont en pierre et d'une hauteur suffisante pour dissuader quiconque d'entrer. Quant au portail, il est infranchissable. Il faut dire aussi qu'il n'y a pas de village dans les environs, juste le petit village du bord de mer, qui n'est pas très fréquenté à cause du marais tout proche. Apparemment, les humains et les naïades n'ont pas les mêmes goûts, heureusement. Il y a juste eu une alerte, un jour, mais rien de grave. C'était plus amusant qu'autre chose…

- Que s'est-il passé?

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